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lundi 28 mai 2012

les escaladeurs : l'arête des 3 pointes et le couloir Subéroque


Romarinos savait qu'il était le dernier rempart avant la libération.
Mais personne ne croyait en lui.
Encore fut-il un argelas aux épines acérées ou une ronce aux rejets sournois et griffeurs il eut pu avoir sa chance. Mais là, gentil romarin, même tant épanoui et volumineux qu'il était, personne ne lui donnait une once de réussite.
Comment pourrait-il réussir là où tous avaient échoué.
Le Subéroque avait prévenu :
"Viens voir mon sommet évasé et attrayant. Regarde, respire, émerveille toi de tout ce que je te propose en tête, mais pas touche à mes entrailles !"
Il est comme ça, sympa mais chatouilleux.
Alors dès que les AN sont allés plus avant il a envoyé l'artillerie.
Rochers glissants et verticaux, arbres tortueux et encombrants, feuilles mortes piégeuses. Mais rien n'y a fait.
Alors il est monté d'un cran.
Goulet étroit et fuyant, racines branlantes et branches très fines.
Mais trop forts ces AN.
Au contraire, ils ont joué avec ces obstacles sans les prendre pour des difficultés.
Atteint dans son amour propre il a lancé ses dernières cartouches. En fait ... il a lancé quelques cailloux...

Bien sûr il savait que c'était interdit par la "Charte de Bonne Conduite des Espaces Naturels de Sainte-Victoire" !
Mais bon, il ne voulait pas la signer cette Charte, c'est le Garagaï qui l'avait obligé !
Lui, il voulait rester peinard, bien tranquille et bien protégé par les arêtes qui l'entouraient !

"Ah oui, et bien tiens, prends t'en une sur le casque" pensa t-il en visant le grand avec le tricot rouge. Puis ce fut le tour de la petite femme qu'il réussit à projeter au sol.

Mais déjà les hirondelles volaient vers la Croix de Provence pour rendre compte aux Instances Supérieures de sa félonie, alors il rongea son frein et regarda les intrus s'éloigner.

Romarinos avait vu tout ça : il serait l'Honneur de Subéroque !
Belle journée printanière. Beau soleil revigorant. Léger petit zéphyr pour éviter la surchauffe.
Les conditions étaient optimales.
"C'est maintenant ou jamais !" se dit-il. Je vais y arriver. Je peux y arriver.
Une femelle humaine prit place au rappel. Habituée et sûre d'elle, elle paraissait danser avec désinvolture sur la paroi.
D'abord bien surveiller la trajectoire.
Il se laissa porter par les faibles courants d'air pour dévier quelques rameaux vers la droite.
Le piège se mettait en place, il n'en était pas peu fier.
La femme descendait doucement, tant mieux.
Genêts, chênes kermès et cistes observaient la scène et se demandaient comment il allait bien pouvoir l'attraper.
Mais Romarinos avait tout prévu.
Romarinos connaissait le terrain, c'était là son avantage !
Il avait depuis longtemps repéré dans le sous sol une petite cavité et y avait envoyé quelques radicelles. "On ne sait jamais, il y a peut être des choses intéressantes à découvrir" avait-il envisagé à l'époque.
C'était une excavation de taille modeste sans grand intérêt, mais qui veut survire dans les arides terres provençales, doit certes savoir se contenter de peu, mais aussi pouvoir saisir toutes les opportunités.
Aussi il avait beaucoup plu les jours précédents. Il avait constaté au fil des heures le remplissage de ce trou et cela faisait une belle petite réserve d'eau.
Là où d'aucun végétal se serait avidement abreuvé il avait préféré jouer la sagesse.
Cette eau si précieuse il n'y avait pas touché. Il avait choisi de la garder en réserve pour des jours funestes de sécheresse… ou pour quelque circonstance exceptionnelle.
Et ça c'était réellement une belle et vraie circonstance merveilleusement exceptionnelle !
Il allait se la choper cette AN !
Alors subitement son réseau racinaire aspira l'eau.
Elle se collecta dans les grosses racines jusqu'à la partie aérienne de la base du tronc.
Et toujours les racines pompaient.
Dans les canaux tronculaires rigides inextensibles la pression monta. L'eau s'écoula de plus en vite et atteint les première branches.
"Tout envoyer sur le flanc droit" se dit-il.
Le flot arriva jusqu'aux plus fines brindilles qui sous la pression de la poussée hydrique se déployèrent et réussirent à agripper la corde.
Romarinos était galvanisé par ce premier succès, il tint bon.
Des radicelles les plus infimes cherchèrent alentour les moindres gouttes du précieux liquide. Ce n'était pas le moment de flancher.
Dans l'humidité de la terre des profondeurs il trouva de quoi renforcer encore son étreinte et parvint au prix d'un effort titano-romarinesque à se saisir d'une jambe et à la faire culbuter.
Iris était capturée.
Dans la Sainte une clameur de victoire commença à naître.
Mais l'Iris harponnée n'était pas une de ces iris de jardin bichonnée et choyée à longueur de saison. Non, cette iris là c'était une iris sauvage.
Une iris élevée à la dure dans les rocailles des calanques et les sols ingrats du Garlaban, une iris qui est en bonne Moussaillonne avait déjà en 2011 bouffé de la Sainte-Victoire, une vraie sauvageonne qui devenue rando-escaladeuse n'avait pas du tout l'intention de s'en laisser compter par un bosquet de romarin !
Encouragée par ses amis, les célèbres AN, elle réussit par la combinaison de multiples positions corporelles connues d'elle seule à enfin se libérer, laissant un Romarinos dépité et mutilé.

L'histoire ne dit pas si Romarinos eut de la part de ses pairs la reconnaissance qu'il méritait pour son courage et sa pugnacité, mais pour nous ce fut une bien belle sortie.

Plus tard dans la nuit la chambre sentait bon le romarin, mais vous n'êtes pas obligés de me croire :
Je la savais douchée et pomponnée et fus donc surpris qu'elle émanât encore le romarin.
Pourtant, à ne pas m'y tromper, quand je m'approchais d'elle, une odeur de romarin se dégageait de plus en plus.
"Ce n'est pas possible", songeais-je.
Cependant, ça sentait bien le romarin…
Je m'approchais au plus près et m'aperçut que les effluves se répandaient plus intensément à chaque expiration.
Je tournais mon cou au maximum pour scruter ses narines et compris alors : dans sa position cul par dessus tête quelques brins de romarins étaient tombés dans ses narines et s'y trouvaient toujours, englués dans les sécrétions nasales.
Le vainqueur fut–il bien celui qu'on crût qui réussit à venir chez nous à notre insu ?
En tous cas c'est le corps fatigué mais l'air embaumé aux senteurs de garrigue que nous passâmes une belle nuit réparatrice.



Christian.